Réforme des retraites | Le rôle central de la formation sur le cycle de vie

Stéphane Hamayon, Directeur des Études économiques Harvest Groupe

Depuis l’annonce du relèvement de l’âge légal de départ en retraite de 62 à 64 ans, des voix s’élèvent pour dénoncer le risque de substitution entre emploi des seniors et emploi des jeunes. Autrement dit, les départs en retraite plus tardifs des 55-64 ans risqueraient de restreindre l’entrée sur le marché du travail des moins de 25 ans. Une mise en perspective européenne montre que les pays qui ont les plus hauts taux d’emploi des seniors sont aussi ceux qui ont les taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans les plus bas, comme l’Allemagne, la Norvège ou les Pays-Bas.

A l’opposé les pays caractérisés par un fort chômage des jeunes on les taux d’emploi des seniors les plus faibles (Grèce , Italie, Roumanie). Dans ce panorama, la France, proche de la queue de peloton, est moins bien positionnée que la moyenne de l’Union européenne (Graphique 1). Évidemment, corrélation n’est pas causalité et il est difficile d’en déduire que l’un a un impact positif sur l’autre, il apparaît néanmoins qu’un fort taux d’emploi des seniors n’empêche en rien un faible taux de chômage des jeunes.

Graphique 1

Le COR considère du reste que « l’hypothèse d’une substitution entre emploi des seniors et emploi des jeunes est peu probable, en raison des différences de capital humain et de poste occupé[1] »

Sans s’aventurer sur le terrain théorique[2] des liens entre éducation, économie et emploi, on peut avancer que l’apparente complémentarité qui se dégage entre emploi des jeunes et emploi des seniors est le reflet du niveau d’éducation et du degré d’efficacité des politiques « actives » des dépenses engagées au titre de la lutte contre le chômage. Ces politiques[3], reposent sur l’éducation, la formation et l’orientation professionnelle et l’aide à la mobilité géographique. Elles s’opposent à la simple indemnisation (dite « passive ») des chômeurs.

Reconstruire un système d’éducation plus inclusif

D’après l’enquête emploi 2019 de l’Insee, le niveau de diplôme de la population résidant en France augmente au fil des générations : en 2019, 13 % des personnes âgées de 25 à 34 ans n’ont aucun diplôme ou seulement le brevet des collèges, alors que c’est le cas de 31 % de celles âgées de 55 à 64 ans. Malgré cette progression globale du niveau de diplôme, les jeunes sans formation et sans emploi représentent une part plus importante en France que la moyenne de l’Union européenne. Or l’insertion dans le marché du travail est très différente selon le niveau de qualification, avec une prime nettement plus élevée qu’ailleurs aux hauts diplômés. Les sortants du système éducatif avec un niveau inférieur au deuxième cycle du secondaire ont un taux d’emploi, de 51%, parmi les plus faibles de l’Union Européenne (Graphique 2).

En outre, les disparités demeurent marquées selon le niveau d’éducation des parents et l’origine sociale. Ainsi, en France, à l’instar de la théorie de la segmentation[4] du marché du travail, l’existence de segments plus ou moins hermétiques semble se dessiner. Le premier de ces segments est caractérisé par de hauts salaires, la sécurité de l’emploi, de bonnes perspectives de carrière et un accès limité aux plus diplômés. A l’opposé, le dernier se singularise par de bas salaires, l’absence de sécurité de l’emploi et de perspectives de carrière. Ce segment est majoritairement celui des « sans diplôme » et des étrangers.

Graphique 2

Elargir la couverture de la formation professionnelle et pérenniser son financement

Ces divergences d’accès au marché du travail se poursuivent tout au long de la vie, notamment parce que le système de formation professionnelle ne permet pas de remédier à ces inégalités chez les moins qualifiés.

D’après l’analyse de la Dares de juin 2016, la formation continue bénéficie aux mieux dotés (cadres, professions intermédiaires) et le poids des années tend à creuser les écarts. La formation est un outil essentiel d’adaptation des compétences en deuxième partie de carrière. Or, l’accès à la formation diminue à mesure que l’âge augmente, avec une nette baisse après 55 ans (Graphique 3). L’enquête Insee – Dares sur la formation des adultes révèle qu’en plus de l’âge, d’autres caractéristiques sont déterminantes dans l’accès à la formation : le niveau de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle, mais aussi la taille et le secteur d’activité de l’entreprise. Les catégories les mieux formées et les plus diplômées présentent en effet des taux d’accès plus élevés, quel que soit l’âge.

Graphique 3

Bien sur les réformes de 2018 de la formation professionnelle et de l’apprentissage ont permis des « avancées notables », cependant, comme le souligne le Projet de loi de finances pour 2023, quatre ans après son adoption la loi « Avenir professionnel » reste structurellement déficitaire. En outre, selon l’OCDE, l’inadéquation de l’offre de formation est citée comme l’un des principaux obstacles par travailleurs âgés.

Il est souhaitable d’augmenter le taux d’emploi des 55-64 ans en France, ce qui n’a a priori pas d’effet négatif sur l’emploi des jeunes et des effets bénéfiques sur les finances des régimes par répartition. Reste à déterminer les leviers à actionner pour y parvenir. Une chose est indéniable, l’augmentation du taux d’emploi des seniors requiert une stratégie globale qui accorde une place centrale à l’éducation et à la formation tout au long du cycle de vie.

Vous souhaitez renforcer votre expertise retraite ?

Formez-vous avec Harvest Fidroit Academy, votre partenaire formation !


[1] Conseil d’orientation des retraites., 2017, « Réformes des retraites et report de l’âge : quels effets et dans quelles conditions ? », La Lettre du COR, n° 14, février.

[2] Sylvère Chirache., 2014, « Éléments de synthèse sur la relation formation-emploi ». Education et formations n° 85, novembre.

[3] Véronique Simonnet., 2014, « Évaluation des politiques actives du marché du travail ». Travail et Emploi, 139, pp.5-12.

[4] Doeringer P. & Piore M., 1971, Internal Labor Markets and Manpower. Analysis, Heath Lexington Books, 214p.